Jour 1 : lundi 16 mars 2020
1.1. Souffrant de troubles respiratoires et de maux de tête depuis déjà plus d’une semaine, je téléphone à mon médecin (qui est une femme mais je ne trouve pas de terme féminin) pour respecter les indications de ne pas se rendre dans son cabinet. Par principe de précaution, le Dr Cayn me prescrit un isolement total pour une période de sept jours. Avant de me demander : « Avez-vous des proches pour vous apporter des courses ? » Je lui réponds : « Euh, non… Enfin, si, ma copine, mais elle est un peu malade aussi… » Bref, je la rassure en lui disant que je me débrouillerai, je n’ai que 41 ans et suis en bonne santé.
1.2. Le soir, alors que nous sommes ensemble depuis plus de deux ans (et nous vivons chacun chez soi), nous faisons notre premier chat vidéo avec Valérie. Les jours où on ne se voit pas, on se téléphone presque toujours et c’est amusant de vivre encore une nouvelle expérience de communication. Elle est déjà très angoissée à l’idée de cet isolement généralisé qui s’annonce alors que nous ne sommes encore qu’au début. « Je suis un être social » me dit-elle. De l’autre côté de l’écran, elle ne semble pas tenir en cage.
1.3.1. En France, Emmanuel Macron prend la parole en direct à 20h sur toutes les grandes chaînes TV. « Nous sommes en guerre » répète-t-il à cinq ou six reprises, je n’ai pas compté. Conséquence logique : l’armée et la police seront dans les rues pour contrôler les mouvements de la population et faire respecter les nouvelles règles de distanciation sociale.
1.3.2. Ça devrait arriver d’ici un ou deux jours chez nous, c’est inévitable, les Belges ne sont pas du genre à ne pas suivre le mouvement de leur grand frère français.
1.4. Je me sens déjà en overdose de réseaux sociaux, notamment Twitter qui déverse en continu des infos, chiffres et recommandations sur cette nouvelle maladie.
1.5. Pour conserver une activité hors écran et réseau durant cette période, je décide que ce journal de confinement sera entièrement un carnet de notes papier que je retranscrirai chaque jour, le lendemain, sur mon site.
1.6. Alors que, ces derniers temps, ma vie tournait beaucoup autour de mon projet de stand-up, je m’en sens soudain et étrangement assez détaché.
1.7. Rien de tout ce qui se passe en ce moment et de tout ce qui nous attend ne me semble réel. Et pourtant.
1.8.1. Personne n’en dit rien mais c’est comme si tout le monde s’attendait, inconsciemment, à ce que ça arrive un jour.
1.8.2. Nous y voilà.
Jour 2 : mardi 17 mars 2020
2.1. Ce matin, en écrivant cette date, je pense à la Saint-Patrick, cette fameuse fête irlandaise où les gens se pressent dans les pubs pour s’embrasser, chanter, crier, se toucher.
2.2. Au réveil, je n’ai pas pensé tout de suite à l’épidémie. Cet état d’insouciance ne dure que quelques secondes. Top, ça y est : je suis en Covid-19 way of thinking.
2.3. Je ne connais pas la différence entre une pandémie et une épidémie, je vais googler, j’ai de toute façon un peu de temps à perdre aujourd’hui.
2.4.1. On s’est vu aujourd’hui avec Valérie, sur les bancs ensoleillés de la Place Flagey avec cette impression de se voir en cachette. Pour éviter la contamination, nous ne nous embrassons pas et ne passons pas la nuit ensemble. Comme si nous anticipions déjà un couvre-feu à venir.
2.4.2. Valérie m’a demandé pourquoi j’écrivais ce journal de confinement dans un carnet en papier. Je lui ai expliqué comme je vous l’ai écrit au Jour 1 mais de manière plus orale, ce qui est tout aussi efficace.
2.5. Ironie du premier jour de printemps particulièrement ensoleillé en ce deuxième jour de confinement, après un hiver long et particulièrement gris.
2.6.1. À 19:44 tombe l’info que tout le monde attendait depuis plusieurs jours : le confinement (presque) total à partir du mercredi 18 mars 2020 à midi et qui durera au moins jusqu’au 5 avril 2020 (l’heure n’est pas précisée). Il reste donc un peu plus de seize heures au moment où j’écris ces mots. Comment est-il possible de remplir ces dernières heure de liberté ? Je pense que presque tout le monde, dont moi, va rester chez soi.
2.6.2. Les mesures de confinement avancent par paliers. Est-ce là le dernier ? Ou peut-on encore aller plus loin ? Il est vrai qu’il reste encore un peu de souplesse par rapport aux mesures françaises ou italiennes. Est-ce là une marge d’erreur qui pourra être rectifiée ?
2.6.3. Toute sortie à l’extérieur devra être justifiée et ne seront prises en compte que les motifs professionnels ou de santé.
2.6.4. Je ne pensais jamais écrire, voire même penser, la phrase 2.6.3.
2.7. Avant de me coucher, je pense déjà à ma guérison prochaine, dans les prochains jours, et à tout ce que je ne pourrai pas faire.
2.8. Le Nouveau Monde début demain à 12:00 tapantes.
Jour 3 : mercredi 18 mars 2020
3.1.1. Moi qui ne téléphone plus beaucoup depuis déjà un bon moment, je prends la décision de recommencer à appeler des ami.e.s durant cette période de confinement, juste pour discuter, prendre de leurs nouvelles, renouer un contact qui a déjà été perdu avant l’épidémie.
3.1.2. Et pourquoi pas même quand la crise se prolongera rédiger un post Facebook pour demander à des « amis » qui vivent isolés comme moi, que je connais en vrai ou pas, de nous appeler pour entendre d’autres voix ?
3.2. À midi, ça y est : le confinement presque total entre en vigueur. Entre 11:59 et 12:01, il n’y a bien sûr pas de grande différence.
3.3. Moi qui consulte toujours mon agenda au début de la journée, je constate que c’est quelque chose que je ne fais déjà plus.
3.4. À l’heure où j’écris ces mots, je n’ai pas encore profité de la possibilité qui nous est offerte par les autorités de sortir seul pour une promenade ou pour aller dans un magasin de produits essentiels. Je n’ai encore besoin de rien et il me reste quatre rouleaux de papier toilettes.
3.5.1. Heureusement que l’utilisation des réseaux sociaux n’est pas limitée, car c’est un peu par là que toute interaction sociale se déroule.
3.5.2. Un peu de paranoïa pourrait même un instant m’amener à penser que c’est comme si, depuis quinze ans, tout avait été mis en oeuvre pour construire ce monde parallèle.
3.6.1. Cette impression étrange de faire partie de ce grand collectif dans lequel tout le monde est en train de faire grosso modo la même chose, avec des degrés de confort différents, bien entendu, rien n’annihile les inégalités de classe.
3.6.2. Pour la première fois de ma vie et sans avoir recours à un logiciel de pistage GPS, il est possible de savoir où se trouve une personne à tout moment : chez elle.
3.7. Je me sens piégé dans ce schéma binaire : être connecté chez moi ou être seul dehors.
3.8. Malgré la permission de sortir, je suis finalement resté cloitré toute la journée seul chez moi.
Jour 4 : jeudi 19 mars 2020
4.1. Ce matin, quand je me suis levé, je ne savais déjà plus quel jour on était et j’aurais parié qu’on était mercredi s’il y avait eu quelqu’un avec moi pour ce faire. Et il m’a fallu qu’il soit presque midi, au moment où j’écris ces mots. (En même temps, je n’ai quitté mon lit qu’à dix heures.)
4.2.1. Depuis mon lit, j’entends à la radio qu’aux USA, les gens font la file pour acheter des armes pour se protéger des éventuelles conséquences d’un désordre social.
4.2.2. En Europe, les gens se ruent sur les rouleaux de PQ, comme s’ils avaient peur de ne plus pouvoir aller chier. Ça semble pour certains presque plus important que de manger.
4.2.3. Même si nous avons les mêmes origines, nous vivons vraiment dans deux univers parallèles, et je ne sais pas lesquels sont les plus à plaindre.
4.3.1. Je suis sorti pour la première fois depuis deux jours et le début du confinement. Nul autre endroit où aller à part le petit supermarché Proxy près de chez moi où j’ai acheté quelques denrées dont je n’avais pas trop besoin mais qui me font quand même plaisir pendant quelques instants.
4.3.2. À noter que le rayon chips est vide tandis que le rayon savon est plein. Comprenne qui pourra. Et je n’ai même pas pensé à regarder le rayon PQ. Je regarderai la prochaine fois, d’ici quelques jours.
4.3.3. Pourra-t-on encore voir du PQ ou dire le mot ou l’entendre, dans les prochaines semaines, sans penser à ce vent de folie autour de ce produit de masse ?
4.4.1. J’ai posté un truc sur Facebook qui génère pas mal d’interactions, en ironisant sur le fait de sortir sur son balcon chaque soir pour applaudir le personnel soignant. Je prends plaisir à voir les likes s’accumuler et à répondre aux nombreux commentaires. Je me sens moins seul, ou du moins, je n’y pense pas.
4.4.2. Je me demande comment se déroulerait un tel confinement sans les réseaux sociaux ?
4.5. Avec mes vieux amis Boris et David, nous faisons notre toute première vidéo-conférence de notre histoire. C’est difficile de ne pas parler en même temps, il faudrait carrément donner des sens et temps de parole, comme dans un groupe de discussion ou une réunion de travail.
4.6.1. Le soir, je vais passer la soirée chez Valérie. Sur le chemin de l’aller et encore plus au retour, alors que Bruxelles est d’habitude une ville avec un trafic ininterrompu, je ne croise pratiquement pas la moindre voiture et tous les feux sont au vert, ce qui renforce cette impression d’être-seul-dans-la-ville.
4.6.2. C’est dans ces moments-là que le réel semble se détacher du réel.
4.7. Il me reste toujours quatre rouleaux de PQ.
Jour 5 : vendredi 20 mars 2020
5.1. Chaque geste compte et j’essaie d’agir lentement pour que le temps passe plus vite. Ouvrir les rideaux, aller aux toilettes, prendre sa douche… Tous ces petits gestes quotidiens que j’essaie d’habitude de faire vite deviennent ici des moments qu’il faut tenter de gonfler au maximum.
5.2. Qui dit encore « J’ai pas le temps » aujourd’hui ? Alors qu’il y a quelques jours, personne n’en avait jamais.
5.3.1. Je vois ces mot « coronavirus » et « Covid-19 » écrits partout, dans tous les titres de newsletters, sur Twitter, Facebook, partout.
5.3.2. Je me demande à quoi auraient ressemblé les réseaux sociaux s’ils avaient existé au début de l’invasion allemande en 1940.
5.4. Une des choses les plus étranges dans toute cette histoire, c’est de ne plus dépenser d’argent pour autre chose que des produits dits « essentiels ».
5.5. Avant de sortir pour aller faire quelques courses ou se balader, il y a ce nouveau réflexe de prendre une petite bouteille d’eau de Cologne avec 80% d’alcool, pour me désinfecter les mains, au cas où. (C’est tout ce que j’ai réussi à trouver dans les rayons dévalisés des pharmacies et magasins et je me suis dit que c’était un bon rapport quantité d’alcool/prix.)
5.6. Je passe la soirée devant mes écrans multiples. Je ne veux plus penser. Je veux dormir. Jusqu’à demain.
Jour 6 : samedi 21 mars 2020
6.1. Je sors sur ma terrasse ce matin et me rends compte que tous les arbres et plantes sont en fleur, comme si tout avait éclos durant la nuit.
6.2.1. En écrivant la date du jour dans ce journal, je réalise que nous sommes aujourd’hui le premier jour du printemps.
6.2.2. Quelle ironie.
6.2.3. Comment aurions-nous pu imaginer que ce jour que nous attendions depuis de longs mois se déroulerait dans de telles circonstances ?
6.3. Je me dis pour la première fois que tenir un tel journal du vide ne possède aucun intérêt. Mais faisons-en tout de même l’exercice.
6.4.1. À partir de 11h ce samedi, je passe le week-end avec Valérie, chez elle, Place Flagey à Ixelles.
6.4.2. Voir quelqu’un après des jours de solitude, c’est un peu comme rompre un jeûne, me dis-je, sans être plus convaincu que ça par la comparaison.
6.4.3. Puisque nous allons passer le week-end ensemble et dormir dans le même lit, nous décidons d’un commun accord de nous embrasser à pleine bouche.
6.5.1. Sur la Place Flagey, des agents de police interdisent aux gens d’être en groupe et même de s’asseoir sur les bancs. Nous avons juste le droit d’être par groupe de deux et de marcher sans nous arrêter.
6.5.2. Plus loin, des voitures de police passent avec des hauts-parleurs qui diffusent des messages de prévention puis à un moment nous entendons une version modifiée de « Viens à la maison » de Claude François qui a été changée en « Reste à la maison ». Les passants d’en amusent et nous filmons la scène.
6.6. Au JT de la RTBF, on voit un sujet avec un drone de la police dans le parc du Cinquantenaire qui filme du ciel et diffuse des messages aux promeneurs. Une femme est interrogée et dit : « On se croirait dans un film de SF. » Même sans ça aurais-je envie de lui répondre.
6.7.1. Nous passons un samedi soir à ne même pas nous demander où nous pourrions aller manger, sortir, boire un verre.
6.7.2. Le confinement doit avoir des conséquences bien différentes selon qu’on vit en ville ou à la campagne. Eternelle fracture sociologique.
Jour 7 : dimanche 22 mars 2020
7.1. C’est banal à écrire en ce premier dimanche de confinement mais le dimanche vu comme jour de calme et de repos n’a plus beaucoup de sens durant cette période qui a tendance à tout indifférencier.
7.2. Alors que nous ne sommes même pas encore à la fin de la première semaine de confinement, notre société, toujours aussi clivée et clivante, commence déjà à se diviser entre les pro-confinement et les anti-confinement, notamment autour de la question des tests et de l’exemple sud-coréen.
7.3.1. L’après-midi, avec Valérie, nous faisons une grande promenade de plus de deux heures jusqu’au Bois de la Cambre. Là-bas, nous voyons des agents de police verbaliser des jeunes gens qui sont assis sur les pelouses.
7.3.2. On dirait que la période d’information et d’avertissements laisse sa place à la phase répressive.
7.4. Les limites de l’imaginaire sont chaque jour un peu plus repoussées.
7.5.1. En fin de journée, je partage sur Facebook cette vidéo enregistrée la veille avec la police qui diffusait une version modifiée de « Viens à la maison » de Claude François.
7.5.2. Cette vidéo connait assez vite un beau petit succès viral, sans jeu de mots, avec près de 10.000 vues à la fin de cette première journée.
Jour 8 : lundi 23 mars 2020
8.1.1. Nous débutons aujourd’hui la deuxième semaine de confinement.
8.1.2. Déjà, aurais-je envie d’écrire.
8.1.3. Confinement ou pas, rien ne peut arrêter le déroulement rapide du temps.
8.2.1. Je me retrouve chez moi après le week-end passé en couple et il n’est pas évident de reprendre le cours de ma vie seul et isolé.
8.2.2. Un rapide calcul m’apprend que si on se revoit mercredi soir, me voilà donc parti pour près de 56 heures de solitude chez moi face à moi.
8.3. Le lundi a l’avantage d’un peu remettre les pendules à l’heure, de savoir quel jour, quelle date, on est. Avant de se perdre à nouveau dans les prochains jours.
8.4. Pendant ce temps-là, la vidéo avec la police et Claude François poursuit sa belle montée virale sur Facebook.
8.5. Je devais normalement recevoir les clés de mon nouvel appartement, le long du canal, aujourd’hui, dans le monde parallèle où les choses continuent peut-être leur cours.
8.6. Cela a-t-il du sens de poursuivre la tenue de ce journal qui me semble si banal ? N’est-ce pas aussi triste qu’un roman sans personnage ?
8.7.1. Depuis ce week-end, on parle de plus en plus dans les médias et sur les réseaux sociaux de cette fameuse hydrochloroquine qui pourrait être le remède miracle contre le covid-19 et qui existe pourtant déjà depuis des décennies. Les débats font rage et tout le monde semble, en quelques jours, être devenu virologue.
8.7.2. Une théorie du complot laisse croire que les entreprises pharmaceutiques ne verraient pas d’un bon oeil cette solution trop simple qui est dans le domaine public et qui ne permettrait donc pas de breveter un vaccin qui rapporterait des milliards.
8.7.3. Comme la courbe des cas infectés, les théories du complot sont elles aussi exponentielles.
8.7.4. Ne tombons pas dans la virologie de comptoir.
8.7.5. Je ne pensais jamais écrire le 8.7.4.
8.8.1. Vivrai-je encore une telle crise de mon vivant ?
8.8.2. Tout dépend de ma durée de vie, en fait.
Jour : mardi 24 mars 2020
9.1.1. Je me pose de plus en plus la question de la nécessité ou pas de poursuivre ce journal de confinement pour décrire ma vie solitaire et isolée dans laquelle il ne se passe plus grand-chose d’autre que d’être connecté au monde à travers mes écrans.
9.1.2. Mais peut-être l’exercice sera intéressant sur le long terme ? Il est aussi fort possible que l’expérience ne se renouvelle pas de sitôt. (À voir.)
9.2.1. J’ai été courir aujourd’hui, ce qui ne m’était plus arrivé depuis des mois, si pas plus. En fait, je ne me souviens pas de la dernière fois. Il y avait un nombre incalculable de promeneurs et joggeurs dans les parcs Duden et de Forest, près de chez moi. Mais qui sont tous ces coureurs ? Je me dis qu’ils doivent être les coureurs habituels auxquels on additionne tous les sportifs qui pratiquent d’habitude dans les clubs ou en salles et auxquels on additionne encore tous ceux et celles qui découvrent les joies de la course à pied.
9.2.2. Oui, j’avoue, j’ai fait une phrase très longue au paragraphe précédent.
9.2.3. En courant, surtout dans les montées, j’ai eu assez vite très mal aux poumons, bien que je ne fume pas. J’ai bien sûr pensé au covid-19 mais ces douleurs sont certainement dues à un excès de sédentarité. (Idem pour la constipation.)
9.3. Je poste une deuxième vidéo sur Facebook où je montre comment réaliser un masque avec un simple mouchoir, deux élastiques et une agrafeuse, mais cette vidéo-ci connait beaucoup moins de succès que celle avec la police et Claude François qui rencontre chaque jour de nouvelles interactions.
9.4.1. Le soir, je poursuis la première saison de la série « Le Maître du Haut Chateau », basée sur le chef-d’oeuvre de Philip K. Dick, sur Amazon Prime, plate-forme sur laquelle je suis abonné depuis peu et à laquelle je ne me désabonnerais pour rien au monde pour le moment.
9.4.2. Pendant ce temps-là, je paie mon abonnement à Netflix pour rien.
Jour 10 : mercredi 25 mars 2020
10.1.1. Rien à signaler ce matin.
10.1.2. Cette expression prend vraiment tout son sens en cette période de vide social.
10.2. Je passe aujourd’hui à un nombre à deux chiffres dans ce journal de confinement. Pourrions-nous aller jusqu’à un nombre à trois chiffres ? Cela voudrait dire que le confinement durerait jusqu’au mois de juillet 2020. Je préfère ne pas y penser.
10.3.1. Selon mes calculs, j’arriverai déjà demain au vingtième jour de l’apparition de mes premiers symptômes : maux de tête, nez qui coule, maux de gorge… Il y a de fortes chances que j’ai chopé cela à la Foire du Livre de Bruxelles où je dédicaçais le samedi 7 mars 2020.
10.3.2. Vingt jours semble être la durée moyenne des symptômes liés au Covid-19.
10.4. Il est déjà presque seize heures au moment où j’écris ces mots. C’est fou ce que le temps passe vite, malgré tout.
10.5.1. Je me rends compte que je n’ai pas encore appelé beaucoup d’ami.e.s pour prendre des nouvelles, comme je me l’étais fixé au Jour 3.
10.5.2. Durant ma promenade au parc Duden, j’appelle mon amie Christine M. qui est septuagénaire et qui se porte bien, même si elle m’apprend que son ex-mari, un peu plus âgé qu’elle est décédé du Covid-19, dans sa maison de repos et sans même avoir été envoyé aux Urgences.
10.6.1. À 18 heures, Valérie présente le journal de BX1 et je peux la regarder en direct via le Facebook Live, comme dans notre vie d’avant.
10.6.2. À 19 heures, après 56 heures de solitude confinée et 1 heure après le début de son journal TV, Valérie débarque chez moi où nous passons une douce soirée de confinement en couple, dînant devant les infos de la RTBF puis en terminant la série Fleabag sur Amazon Prime.
10.6.3. Je ne comprends toujours pas pourquoi cette série s’appelle « Sac à puces ».
Jour 11 : jeudi 26 mars 2020
11.1. 1. Je prends l’air sur ma terrasse, à l’arrière de mon appartement, et une voisine depuis son jardin, me demande comment je vais. N’ayant plus échangé depuis un moment et étant donné le situation, je ne sais trop que lui répondre et tente un « On ne peut pas dire que ça ne va pas pas, mais ce serait exagéré de dire que ça va… »
11.1.2. Comme l’impression que ce genre de discussion doit aujourd’hui avoir lieu derrière les maisons, à l’abri des regards indiscrets, alors que dans la rue, on marche la tête baissée.
11.2. En Belgique, il y a aujourd’hui plus de 1200 cas confirmés en 24 heures. Nous sommes toujours en train de nous diriger vers le pic de l’épidémie.
11.3. Je me demande ce que deviennent les cambrioleurs, les criminels, les prostituées… Toutes ces personnes qui vivent dans l’ombre de la légalité, qui ne peuvent pas faire de télétravail et qui ne peuvent donc demander aucune aide de l’Etat.
11.4. Je retourne faire mes courses au marché bio des Tanneurs. Cette fois, il y a une longue file de plus de 30 mètres, avec une personne tous les 1,5 mètre, distance qui empêche les gens de se parler, en plus de la peur. Il ne peut y avoir que 20 clients à l’intérieur et l’un ne peut y rentrer que quand un en sort. À la caisse, je tombe sur l’employé marxiste à qui je demande s’il tient le coup et qui en profite alors pour me sortir tout son discours complotiste : le covid-19 se soignerait en fait avec des huiles essentielles mais les gouvernements l’interdisent car il ne faudrait pas priver l’industrie pharmaceutique des gras bénéfices d’un vaccin à venir. J’ai envie de débattre avec lui, de contre-argumenter, mais je me dis que tout débat peut être générateur de postillons et abandonne donc l’idée. Surtout qu’il ne porte pas de masque et se croit invincible de par ses connaissances en phytothérapie.
Jour 12 : vendredi 27 mars 2020
12.1. J’ai téléphoné aujourd’hui à mon ami Benoit D. pour prendre de ses nouvelles mais aussi pour qu’il prenne des miennes. Il est psychologue et travaille dans une maison psycho-sociale et médicale du quartier pauvre des Marolles. Bien que travaillant en contact direct avec du personnel soignant et des gens vivant dans la rue, il n’est pas (encore) contaminé. Je lui souhaite du courage et ne peux pas terminer par le traditionnel « On se prend un verre un de ces jours? ».
12.2. Aujourd’hui, les USA sont passés en tête des pays comptant le plus de cas confirmés, même devant la Chine et l’Italie, alors que le virus est arrivé bien plus tard sur leur territoire. Ce pays me semble être une véritable bombe à retardement, étant donné la taille de leur population, le Président qui minimise la gravité de la situation, le sens du Business avant tout, le système de soins de santé inégalitaire, l’ignorance d’une partie de la population, les évangélistes, platistes, complotistes et autres créationnistes…
12.3. Le soir, je passe la soirée avec Valérie à Flagey. On commande des plats libanais, ou syriens, ou libano-syriens, dans un resto du coin. Il y a pas mal de livreurs Deliveroo et Uber Eats qui entrent et sortent sans trop respecter la règle d’une seule personne à la fois dans l’entrée du restaurant. Aberration : alors que le resto prend des dispositions strictes en mettant des tables qui empêchent le passage, ils n’acceptent que l’argent liquide. Bref, c’est la première fois depuis le début du confinement que je mange quelque chose que je n’ai pas préparé et je ne le digère au final pas si bien que ça.
Jour 13 : samedi 28 mars 2020
13.1.1. Je me réveille chez Valérie aux alentours de 10 heures. Il fait à nouveau très beau et pas mal de gens se promènent dans le quartier de Flagey, étangs et alentours.
13.1.2. Et dès le début de la journée, toujours les mêmes questions qui semblent tourner en boucle dans les esprits des gens (dont nous) : Qu’a-t-on exactement le droit de faire dehors ? Et à combien ? En famille ? Mais si on est un couple qui n’est pas domicilié à la même adresse (comme nous) ? Pourquoi serions-nous discriminés ? Quel est le périmètre de promenade permis ? Les animaux comptent-ils pour une personne supplémentaire ?
13.1.3. Nous faisons une balade autour des étangs d’Ixelles avec Valérie et ses enfants et ne sommes pas inquiétés par les forces de l’ordre.
13.2.1. De retour chez moi à Forest, je vais faire quelques courses dans le petit Proxy près de chez moi. Après douze jours de confinement, ça y est, j’achète enfin mon premier paquet de PQ, alors qu’il m’en restait encore deux rouleaux. Mais c’était le dernier qui était là juste devant moi et je n’ai pas eu la force de résister à l’achat.
13.2.2. Sur le chemin du retour, je me dis fièrement qu’avec ces douze nouveaux rouleaux, plus les deux restants, j’ai à présent le temps de voir venir.
13.3. Je me couche en avançant mon réveil d’une heure.
Jour 14 : dimanche 29 mars 2020
14.1. Les valeurs sont vraiment inversées depuis le début du confinement et l’on se réjouirait presque que ce soit le premier jour de temps nuageux, aujourd’hui, ce qui a au moins comme conséquence directe de diminuer la frustration à l’idée de ne pas pouvoir sortir.
14.2.1. Avec le passage à l’heure d’été exécuté durant la nuit, il est vite plus tard que ce que je pensais et je quitte ma couette fiévreuse vers onze heures.
14.2.2. C’est bien la première fois de ma vie que je vis un dimanche de confinement après un changement d’heure. Sans doute la dernière.
14.3. Malgré le froid, je sors quand même en fin d’après-midi pour aller courir autour des étangs d’Ixelles avec Valérie. Il y a nettement moins de gens que les jours précédents, ce qui me pousse à croire que le soleil était la cause première de tous ces promeneurs, et non leur esprit rebelle.
Jour 15 : lundi 30 mars 2020
15.1.1. C’est encore une nouvelle semaine de confinement qui débute aujourd’hui, déjà la troisième et il y en a encore minimum trois devant nous, voire cinq si les mesures de confinement étaient étendues au 3 mai comme beaucoup le supposent.
15.1.2. Je comprends les prisonniers qui doivent ressentir ce besoin de comptabiliser les jours qui passent et les jours qui restent. Cela permet à a fois d’un peu faire passer le temps et d’envisager plus concrètement la fin de la peine.
15.2.1. Aujourd’hui, comme c’est d’ailleurs le cas depuis deux ou trois jours, je décide de ne me connecter à Internet, via mon smartphone ou mon ordi, qu’après être sorti de mon lit, avoir fait quelques étirements puis quelques exercices, avoir pris ma douche puis préparé du thé vert.
15.2.2. Comme un vieux fumeur, je me sens trop addict à la connexion multi-réseaux et une intuition m’incite à repousser ce moment de la première décharge de dopamine.
15.3.1. Une fois connecté, je relis un message écrit par une amie sur mon mur Facebook la veille qui me demande si je livre mes livres.
15.3.2. Je décide que oui et poste un message sur Facebook invitant les lecteurs et lectrices intéressé.e.s à me contacter.
15.3.3. J’ai tout de suite quelques premières commandes qui tombent et c’est à ce moment que je me souviens que mes livres sont tous déjà rangés dans les caisses de mon déménagement reporté.
15.3.4. Je les retrouve dans la treizième caisse.
15.4. Et si quelqu’un sortait du coma aujourd’hui, après y être resté quelques mois, croirait-il le monde tel qu’il est devenu en quelques semaines ? En fait, c’est peut-être arrivé quelque part sur la planète.
15.5. Le soir, avec Valérie, nous faisons ensemble un test pour déterminer notre profil de risque par rapport au Covid-19. Valérie est dans la catégorie verte des risques faibles. Je suis dans la catégorie orange des risques moyens. Je crois que c’est parce que j’ai dit que j’avais eu des douleurs de poitrine. Peut-être était-ce le fruit du stress. Je n’aurais pas dû le dire.
Jour 16 : mardi 31 mars 2020
16.1. Dernier jour du mois de mars aujourd’hui et seizième jour de confinement.
16.2.1. Je me demande déjà quels seront les poissons d’avril demain, sur les réseaux sociaux et dans les médias ? Je vois déjà venir le prévisible « Le gouvernement annonce la fin du confinement ».
16.2.2. Anticipons et prenons le temps d’imaginer qu’une personne se fasse duper par ce poisson d’avril, qu’elle sorte, soit infectée et meure quelques jours plus tard. Humour et temps de guerre ne font pas bon ménage.
16.3.1. Je me demande quand j’ai entendu le mot « coronavirus » pour la première fois. Etait-ce en décembre ? Et quand l’ai-je prononcé pour la première fois ? En janvier ?
16.3.2. Aujourd’hui, je l’ai tellement entendu et prononcé que je suis déjà certain que c’est un mot que je ne pourrai plus jamais oublier.
16.4.1. Valérie passe la soirée chez moi et après le dîner, nous jouons aux cartes, à un jeu « inventé » l’été dernier en Grèce, sur l’île d’Andros, et qui repose sur les bases du jeu Uno mais avec un simple jeu de cartes et plus de règles.
16.4.2. L’été prochain, alors que nous avions tant envie de retourner en Grèce pour découvrir une nouvelle région, il est déjà plus que probable que nous ne pourrons pas quitter le territoire belge.
16.4.3. La proposition 16.4.2. semble tout droit issue d’un document martial.
Jour 17 : mercredi 1er avril 2020
17.1. Dix-sept jours est la durée de mortalité moyenne du Covid-19. Puisque le confinement a débuté il y a dix-sept jours et que les décès des jours précédents provenaient d’infections antérieures, il est à espérer que le nombre de décès devrait commencer à diminuer à partir de maintenant.
17.2.1. Le dessin de Pierre Kroll du jour est trait pour trait ce que j’avais noté dans mon carnet hier : on y voit le gouvernement qui annonce que le confinement est levé. Bizarre, Pierre Kroll m’avait habitué à plus d’originalité.
17.2.2. De mon côté, je me dis que si quelqu’un avait eu la bonne idée, le 1er avril 2019, de nous dire qu’en 2020, le monde (presque) entier serait confiné et l’économie suspendue à cause d’un virus en forme de couronne, transmis à l’humain par un pangolin mal cuit en Chine, je suis certain que personne n’aurait cru ce drôle de poisson d’avril.
17.3.1. Il y a un sujet qui ne traite pas du Covid-19 au 13h de la RTBF. C’est la première fois depuis le début du confinement, ai-je l’impression.
17.3.2. Même chose lors du 20h de France 2, j’ai l’impression d’être dans un rêve.
17.3.3. Combien de temps faudra-t-il pour qu’on n’en parle plus ? Ou du moins pour qu’il passe une journée entière sans en entendre parler ? Un an ? Deux ?
17.4. Malgré le beau temps, je ne sors pas de la journée, sauf pour aller faire quelques petites courses au Proxy Delhaize près de chez moi. Dans la rue, je me rends soudain compte que je suis un des seuls à ne pas porter de masque. Idem dans le magasin et encore idem sur le chemin du retour.
17.5.1. Le soir, au téléphone avec Valérie, elle me dit que son amie Anne lui a donné deux masques en tissu qu’elle a elle-même confectionné.
17.5.2. Panne de batterie du côté de chez Valérie et pendant ces quelques minutes d’interruption, je lis sur les réseaux sociaux qu’une deuxième vague d’épidémie pourrait déjà être en train de revenir en Chine. Et un commentateur fait un lien avec la grippe espagnole en 1918 qui aurait aussi connu une première vague au printemps, suivie d’une deuxième à l’automne (la plus mortelle), suivie d’une troisième en hiver.
17.5.3. Valérie me rappelle et je lui explique ce que je viens de lire.
17.6. Peut-être pensons-nous déjà connaître le pire alors que nous ne sommes peut-être encore qu’au début d’une longue crise.
Jour 18 : jeudi 2 avril 2020
18.1. Je suis réveillé peu après 8 heures par des ouvriers dans la maison voisine qui sont en train de percer le mur. J’aurais bien envie de les dénoncer à la police.
18.2. En relisant les derniers points de mon journal, d’hier, je me dis que la philosophie, la sociologie, l’économie de comptoir, ça passe encore parfois, mais la virologie de comptoir atteint vraiment les limites des sciences de comptoir.
18.3.1. Suite à la vidéo que la Reine Mathilde a posté sur Youtube le 24 mars dernier, soit le neuvième jour de ce Journal, une vidéo dans laquelle elle invite les jeunes à lire davantage et à tenir un journal de confinement, j’ai l’idée d’écrire le journal fictif d’un ado de 13 ans.
18.3.2. Je publierai le premier épisode du Journal de Dylan demain matin sur Facebook.
Jour 19 : vendredi 3 avril 2020
19.1.1. Comme prévu au point 18.3.2., je publie le premier épisode du Journal de Dylan ce matin vers onze heures sur mon profil Facebook.
19.1.2. Il est amusant que certaines personnes qui semblent avoir des ados – ou qui en connaissent – font des propositions de vocabulaire plus adapté ou plus précis dans les commentaires du post : « le seum », « la vie d’ma mère », …
19.2. L’après-midi, je relis à voix haute mon projet de « 20 minutes » de stand-up et je me rends compte que, même si je ne l’ai plus lu depuis le début du confinement et que je n’ai plus joué sur scène depuis le 5 mars, je le connais encore relativement bien.
19.3. Un vendredi soir, vers 18 ou 19 heures, dans le monde d’avant, je me demandais toujours ce que j’allais faire de ma soirée.
19.4.1. Je remarque dans les médias et sur les réseaux sociaux que beaucoup de politiques et de personnes de la sphère économique parlent de plus en plus de l’après-crise, comme s’il fallait reprendre le monde d’avant au plus vite.
19.4.2. De mon côté, à ce stade de la crise, je pense encore beaucoup à l’avant-crise.
19.5.1. À vingt heures, j’ai oublié de sortir sur mon balcon pour applaudir le personnel soignant. Je cuisinais et je n’ai rien entendu. C’est la première fois que j’oublie depuis le début du confinement, enfin, je crois.
19.5.2. Il faudrait inventer un nouveau mot pour décrire cette sensation de culpabilité de ne pas être sorti applaudir sur son balcon. Je ne serais pas étonné que les Japonais l’aient déjà fait.
Jour 20 : samedi 4 avril 2020
20.1.1. C’est aujourd’hui le jour officiel du début des vacances de Pâques et, pour la première fois depuis la fin de la Seconde guerre, les gens ne peuvent pas aller se ressourcer à la campagne ou à la mer.
20.1.2. Cette référence à la guerre est assez récurrente dans cette crise.
20.2.1. De mon côté, je vais passer le week-end avec Valérie, dont les enfants sont chez le père, après trois jours de solitude.
20.2.2. Faut-il plutôt parler de solitude ou d’isolement ? Quelle est la différence entre les deux ? Comme souvent ressort cet argument choisi/subi qui n’a pas toujours beaucoup de sens.
20.3. L’après-midi, nous marchons près de dix kilomètres à travers les rues, places et avenues de Bruxelles, sous un beau soleil de printemps. Les lieux touristiques habituellement bondés sont déserts, notamment les Galeries Royales Saint-Hubert où je prends une photo qui restera certainement dans mes annales de la ville.
20.4.1. La ville est donc déserte mais, étrangement, organisée avec de longues files d’attente devant les supermarchés et autres supérettes, où il ne peut y avoir qu’un nombre limité de clients.
20.4.2. À notre tour, sur le chemin du retour, nous faisons la file devant un Proxy Delhaize, chaussée d’Ixelles, et avant d’y pénétrer, pour la première fois, nous passons un masque de protection, réalisé par Anne F., une amie de Valérie.
20.4.3. Le port du masque projette dans une autre réalité, plus anxiogène, où l’on ne peut plus être simple spectateur de la crise. Il est plus difficile de parler, il fait plus chaud, cela génère de la buée dans mes lunettes, il faut agir vite pour sortir au plus vite.
Jour 21 : dimanche 5 avril 2020
21.1. La température dépasse aujourd’hui la barre des 20 degrés. C’est l’été avant l’heure et je me dis que ça va vraiment être compliqué pour la police de faire maintenir les mesures de confinement avec un tel temps.
21.2. Nous descendons sur la Place Flagey avec un café dans un petit mug et le buvons sur un banc, avec un petit morceau de cake que nous venons de cuire. Nous avons normalement le droit de nous asseoir cinq minutes et avec 1,5 mètre de distance, mais pourtant, quand une voiture de police arrive sur la place, nous avons déjà le réflexe de nous lever, toujours déjà fautifs, alors que nous n’étions assis que depuis trois minutes.
21.3. Le soir, nous cuisinons puis mangeons un très bon plat de riz avec des légumes sautés au gingembre, à l’ail et avec de la sauce soja et du citron, le tout avec un verre de Bourgogne, et nous le savourons devant les journaux d’informations et le sinistre décompte des morts du jour. Drôle de moment auquel nous sommes déjà bien habitués.
Jour 22 : lundi 6 avril 2020
22.1. C’est déjà le début de la quatrième semaine de confinement aujourd’hui. Et si ça continue encore longtemps, il y a un moment où il ne sera même plus possible de les compter, ces semaines.
22.2.1. L’après-midi, le temps se couvre pour la première fois depuis le début du confinement.
22.2.2. Je fais une balade dans les parcs de Forest et Duden avec mon amie Christine M. C’est la plus âgée de mes amies car elle a plus de 70 ans. Je ne sais pas si c’est de la paranoïa ou pas, mais j’ai l’impression que les gens me regardent comme si j’étais un sale type qui ne prenait pas soin de sa mère ou de sa grand-mère, en marchant trop près d’elle et en ne portant pas de masque. (Elle en porte un.) Alors qu’en temps normal, ce serait plutôt bien vu de venir sa balader avec une personne plus âgée.
22.2.3. Chaque jour, au cours de ces promenades dans les parcs, il s’agit de ne jamais s’arrêter, toujours être en mouvement, garder ses distances en parlant et par rapport aux gens que l’on croise, tous des gestes et attitudes qui étaient si naturels et qu’il nous faut apprendre.
Jour 23 : mardi 7 avril 2020
23.1. Je me réveille comme je m’étais couché : avec cette impression de fatigue lourde et vague. À nouveau la peur d’être malade, alors que je me sentais immunisé il y a à peine quelques jours.
23.2. J’avais envie d’enfin faire un truc utile de ce confinement et j’ai donc ce matin un rendez-vous au centre de don de sang de l’hôpital Saint-Pierre à Bruxelles. En arrivant, je vois de loin l’entrée des Urgences avec les fameuses tentes de tri vertes devant le bâtiment. Bizarre de se trouver soudain si près du front. Je rentre dans le local des dons avec mon masque et tout le monde en porte un à l’intérieur. Il y a une infirmière qui n’arrête pas de tousser et qui explique à sa collègue « qu’ils n’ont pas voulu la tester parce qu’elle n’avait que 37° et qu’ils ne font les tests qu’à partir de 38° ». Je dois répondre à un questionnaire sur mes dernières maladies, voyages, pratiques sexuelles… L’infirmière qui analyse mes réponses insiste bien sur le fait que j’aie été malade ou non en mars et je lui dis que j’ai bien eu un petit rhume mais rien de grave. Je vois que ça la perturbe un peu et je me retrouve dans la position de celui qui veut convaincre que ça va alors que je n’en sais rien, moi, si j’ai eu le covid-19 ou pas puisque la plupart des cas sont asymptomatiques et qu’il n’y a pas de tests. Après une attente assez longue dont je m’abstiens de me plaindre, je fais ensuite le don et tout se passe bien, je ne sais pas pourquoi, mais je n’ai jamais eu peur des piqûres. Une autre infirmière demande si elle veut qu’elle me prenne en photo quand elle voit que je ne m’en sors pas avec mon selfie avec un seul bras. J’accepte.
23.3. Etrangement, je me sens beaucoup mieux après le don de sang qu’avant. Peut-être est-ce la frangipane que j’ai reçu.
Jour 24 : mercredi 8 avril 2020
24.1. J’aurais une fois encore bien envie d’arrêter ce journal tant les jours, les semaines, bientôt les mois, se suivent et se ressemblent. Mais après 24 jours, je me dis que ce serait dommage. En même temps, je ne pensais pas au début que ça durerait si longtemps.
24.2.1. À 18 heures, j’ai une conf call avec mon cours d’impro, qui est donc suspendu depuis le début du confinement. Nous nous retrouvons donc à dix dans le logiciel GoToMeeting, que je ne connaissais pas. Le temps que tout le monde soit connecté, puis que chacun comprenne la gestion des paramètres micro, vidéo et autres, il y a déjà presqu’une demi-heure de passée. Nous faisons ensuite quelques exercices d’histoires improvisées, mais avec les décalages et les problèmes de son, c’est assez laborieux. Et à un moment, certains n’entendent même plus rien, ou sont déconnectés, c’est la bérézina, et le cours prend fin dans une cacophonie technologique qui nous fait comprendre que tout n’est malheureusement pas (encore) possible grâce aux technologies.
24.2.2. Le « J’peux pas, j’ai une conf call » est devenu, en quelques semaines, le nouveau « J’peux pas, j’ai piscine ».
24.3. Après 56 heures de solitude (mises à part les deux balades accompagnées de lundi et mardi), Valérie vient passer la soirée chez moi. Après le premier repas de l’année pris sur ma terrasse, nous allons nous balader dans le parc Duden, presque vide au moment où se couche le soleil.
Jour 25 : jeudi 9 avril 2020
25.1. Plus de 280 morts en Belgique dans les dernières 24 heures. C’est avec ce décompte morbide que nos journée débutent. Quand on regarde le nombre de décès par million d’habitants, la Belgique se classe au 3ème rang mondial, derrière l’Italie et l’Espagne. Pourtant, ici, le confinement est moins strict et il y a de meilleurs soins de santé et un nombre de lits en hôpitaux et en soins intensifs plus nombreux. Qu’est-ce qui peut bien expliquer cela ? Est-ce que les autres pays manipulent leurs chiffres pour cacher leurs morts ou est-ce qu’il y a un réel souci en Belgique ? Pour donner une idée de la dimension du phénomène, à population égale, c’est comme si les USA comptaient près de 80.000 morts.
25.2.1. En parallèle de ce journal de confinement, je poursuis également le journal de confinement fictif d’un ado de 13 ans : Dylan.
25.2.2. Certains profitent du confinement pour apprendre une nouvelle langue, et moi, grâce à Dylan, j’essaie de m’initier aux joies du langage urbain (ou langue des djeuns).
25.3. Mon ami Simon D. sonne chez moi parce qu’il se promenait dans le quartier. Je ne sais pas si je dois le faire monter ou pas et je lui propose finalement de faire un petit tour du parc pour discuter.
Jour 26 : vendredi 10 avril 2020
26.1. Déjà le 26ème jour depuis le début de ce journal et le 24ème depuis le début du confinement. Qui aurait pensé que le temps passerait si vite à l’aube de tout ça ?
26.2. Le nombre de morts en Belgique explose encore aujourd’hui avec 496 nouveaux décès (dont 171 avaient été notifiés en maisons de repos en Flandre entre le 18 et le 31 mars) et le pays passe la barre des 3000 morts, tout cela en à peine un mois, bien loin donc des chiffres liés à la grippe saisonnière auxquels tout le monde faisait référence au début de la crise.
26.3. Après deux « Enfin le week-end » de suite, suivi d’un « Enfin les vacances », on peut s’attendre en ce vendredi 10 avril à une déferlante de « Bon week-end prolongé » sur les réseaux sociaux.
Jour 27 : samedi 11 avril 2020
27.1. Je fais une grande balade à vélo avec mon ami Gaetan D. Il fait un temps radieux, assez chaud. Bien entendu, sur nos vélos, nous parlons beaucoup du confinement, de la maladie et de ses effets, avec toujours cette impression qui nous poursuit de ne jamais savoir si nous nous trouvons dans la légalité ou pas. Bien qu’au fond de nous, nous savons bien que la règle est que nous pouvons nous balader avec une seul personne mais qui doit toujours être la même. En ce qui me concerne, c’est bien la quatrième différente. Mais si des flics nous arrêtaient, comment pourraient-ils bien le savoir ? En ce moment x, nous sommes bien deux et avec une distance minimale entre nos vélos. Bref, il y a plein de promeneurs, parfois plus nombreux que nous, et en discutant, nous arrivons rapidement à Halle, petite cité brabançonne totalement morte, avec ses terrasses ensoleillées sur la place de l’Hôtel de Ville qui ne semblent même plus attendre les clients.
27.2. Sur le chemin du retour, je décide de faire un détour pour passer devant mon futur appartement et voir si des travaux ont avancé. Je passe ensuite par le quartier Cureghem à Anderlecht pour rejoindre la gare du Midi puis Forest, et dans ce quartier, je me retrouve en plein coeur d’émeutes entre des jeunes et la police. Au sol sont jonchés des bris de verre, pare-brises, briques et morceaux de pierre. Et tous les jeunes sont regroupés en bande, comme si ces événements avaient pris le dessus sur le confinement.
27.3. Le JT de la RTBF du soir s’ouvre sur ces émeutes et j’y apprends qu’elles ont eu lieu en réaction à la mort d’un jeune de 19 ans, Adil, qui a été tué dans un accident de scooter contre un véhicule de police la veille. Je me dis qu’il fallait s’y attendre : un confinement prolongé dans des quartiers pauvres où les gens qui vivent dans de petits espaces sont déjà victimes toute l’année de contrôles de police discriminants ne peut être qu’explosif.
Jour 28 : dimanche 12 avril 2010
28.1. Dimanche de Pâques en confinement, ce qui ne change de toute façon pas grand-chose d’un jour habituel de confinement.
28.2. Le Pape François diffuse son message Urbi & Orbi seul, face à une Place Saint-Pierre totalement déserte et qui n’a jamais paru aussi gigantesque.
28.3. Aujourd’hui, le nombre de morts liés au Covid-19 en Belgique dépasse celui de la Chine, là où tout a débuté. Les chiffres chinois sont peut-être minimisés et les nôtres maximisés, mais tout de même, aurions-nous jamais imaginé cela il y a à peine deux mois ?
28.4. Je rentre chez moi en scooter vers minuit et reste durant tout le trajet aux aguets par rapport aux patrouilles de police.
Jour 29 : lundi 13 avril 2020
29.1. Etrangement, ce lundi de Pâques en confinement semble encore plus calme que la veille et des autres jours de confinement. Il subsiste donc encore de légères variations d’activité entre les jours.
29.2. En fin de journée, nous allons vendre la voiture de Valérie à un acheteur à Laeken. La scène est un peu surréaliste, dans le parking souterrain de son immeuble et à l’abri de tout regard. Les grosses coupures s’échangent en liquide mais avec des gants et des masques de protection. J’ai l’impression d’être dans un film. Ou dans un rêve.
Jour 30 : mardi 14 avril 2020
30.1. La Belgique passe aujourd’hui la nouvelle barre symbolique des 4000 morts liés au Covid-19. Soit 1000 de plus en à peine 4 jours.
Jour 31 : mercredi 15 avril 2020
31.1. Trente-et-unième jour de confinement, ou un mois plus que complet.
31.2. Le Conseil de Sécurité se réunit à 14h30 pour élaborer la suite des événements. Dès 17h, une conférence de presse est organisée et le confinement est prolongé jusqu’au lundi 4 mai minimum, soit une semaine avant la France. Entretemps, les magasins de bricolage et pépinières pourront rouvrir. Rien n’est prévu pour les écoles, bars, restaurants et autres commerces. À ce stade, rien ne garantit encore un déconfinement à partir du 4 mai et celui-ci devrait de toute manière être progressif et « par paliers ».
31.3. Sur les réseaux sociaux, beaucoup de gens semblent s’attrister que les livres soient vus comme moins essentiels que les plantes et outils de jardin. Vaste débat. Mais les livres sont tout de même composés de bois. Soit.
31.4. J’assiste à tous ces débats et prises de bec couché dans mon divan, très las.
Jour 32 : jeudi 16 avril 2020
32.1. Il y a un mois pile, le 16 mars dernier, que j’ai débuté ce journal de confinement, sans savoir qu’il me mènerait si loin dans le temps.
32.2.1. J’ai rappelé mon médecin traitant pour lui dire que je me sentais toujours fatigué plus d’un mois après le début de mes symptômes et elle m’a dit que ça ne l’étonnait pas et que la plupart de ses patients lui parlaient aussi de cette anormale durée de la maladie.
32.2.2. Je me sens déjà un peu mieux après lui avoir parlé. En cela, le covid-19 agit bien comme les autres maladies.
Jour 33 : vendredi 17 avril 2020
33.1. Dernier jour des vacances de Pâques aujourd’hui. Il faut se forcer à essayer de rester en contact avec le calendrier car on pourrait facilement en perdre le fil.
33.2. Cela fait déjà un moment que j’y pense et il devient de plus en plus évident que nous ne pourrons pas quitter la Belgique cet été. Je suis en train de regarder les maisons de vacances à louer en Ardenne. Ce serait déjà mieux que de passer tout l’été dans un appartement en ville, mais c’est tout de même une perspective moins réjouissante. Reste à espérer un été caniculaire.
33.3. Le chanteur Christophe est mort cette nuit des suites du covid-19 et je lui dédie ce point 33.3. Parallèlement, j’ironise sur les réseaux en écrivant que l’ironie du sort, justement, serait qu’Aline revienne aujourd’hui.
Jour 36 : lundi 20 avril 2020
36.1. Après le week-end passé de manière relativement déconnecté avec Valérie, me revoilà de retour dans mon confinement isolé ou isolement confiné, au choix. Comme chaque semaine, cela durera donc environ 56 heures.
36.2.1. Je fais un post sur les réseaux en ironisant sur le fait que durant la 2nde guerre et sous l’Occupation, il aurait été bien sûr moins cool, tendance ou hype, de sortir sur nos balcons, chaque soir à vingt heures, pour applaudir les Résistants ou militaires qui se battaient contre les nazis.
36.2.2. J’ai pour le moment constaté assez peu de points de Godwin durant cette crise du Covid-19.
36.3. J’ai une soudaine envie de nager.
Jour 37 : mardi 21 avril 2020
37.1. J’ai appelé mon médecin pour une douleur au coude suite à une chute dans l’escalier, il y a une semaine, chez Valérie. Difficile pour elle de m’ausculter pour un tel problème à distance, mais elle décide tout de même de me faire passer une radio et prend rendez-vous pour moi le lendemain matin.
Jour 38 : mercredi 22 avril 2020
38.1. Je me rends à l’hôpital Molière ce matin pour faire une radio de mon coude gauche. Dès l’entrée, je suis accueilli par une dame qui me demande la raison de ma venue et qui me donne un masque chirurgical. Les couloirs et espaces sont calme comme je les ai rarement vus.
38.2. Après une courte attente, je reçois les résultats et je n’ai heureusement pas de fracture, juste une simple bursite (une sorte d’inflammation).
38.3.1. Les recommandations du groupe d’experts pour le déconfinement commencent à être rendues publiques en vue du Conseil national de Sécurité à venir ce vendredi 24 avril.
38.3.2. Le déconfinement semble a priori encore plus complexe à mettre en oeuvre que le confinement.
38.3.3. Le 4 mai sera le jour du début de notre libération relative.
Jour 39 : jeudi 23 avril 2020
39.1. Certes, il y a eu un avant, qui nous semble déjà loin, certes, il y aura un après, qui nous semble lui aussi assez éloigné, mais entretemps, il y a surtout un putain d’éternel pendant.
39.2. J’ai l’impression que je sens une montée de stress en moi en vue du Conseil national de Sécurité qui doit avoir lieu demain et qui va encore une fois décider de notre quotidien dans les semaines et mois à venir.
39.3. Je dois passer l’après-midi chez moi pour un enlèvement de tablette dysfonctionnelle. De toute façon, où d’autre pourrais-je être ?
Jour 40 : vendredi 24 avril 2020
40.1. J’ai déjà dû l’écrire plusieurs, fois, je ne sais plus, je ne me relis pas, mais c’est incroyable à quel point le temps passe vite depuis le début de ce confinement.
40.2. Aujourd’hui a lieu le troisième ou quatrième, je ne sais plus non plus, Conseil national de Sécurité. Et la conférence de presse qui s’ensuit ne débute pas avant au moins 22 heures et certains disent qu’ils attendaient la fin de deux séries importantes sur deux chaîhes TV flamandes. Surréalismement belge. On a ensuite droit à un plan de déconfinement en 3 phases mais avec une phase 1a et 1b qui ne nous apprend finalement pas grand-chose d’autre qu’on va encore devoir rester confinés un bon moment. Les magasins rouvriront tous le 11 mai, certains même le 4, mais la perspective de pouvoir renouer des contacts sociaux avec nos proches est repoussée à plus tard.
40.3. À partir de dorénavant, nous ne sommes en confinement mais en phase de prédéconfinement. Subtile nuance.
Jour 47 : vendredi 1er mai 2020
47.1. Jour férié pour fête du travail, ce qui est particulièrement ironique en ces temps de confinement, de chômage temporaire et de télétravail généralisé.
47.2.1. J’ai pas mal délaissé ce journal de confinement ces derniers jours car il se fait que je déménage aujourd’hui et que j’ai donc dû préparer tout cela. Enfin, disons plutôt que je déplace mes affaires dans l’appartement en bas de chez moi et que je vais vivre dans un appart-hôtel de l’Avenue Louise jusqu’à ce que mon futur appartement soit prêt à être emménagé.
47.2.2. Expérimenter un confinement et un déménagement dans le même temps, c’est un peu faire un grand écart entre des choses assez opposées, et c’est assez troublant pour le cerveau.
Jour 50 : lundi 4 mai 2020
50.1. Cinquantième jour depuis le début de ce journal et premier jour de la première phase de déconfinement en Belgique. Aujourd’hui, certaines entreprises rouvrent et certains commerces également. Et cela se poursuivra progressivement comme cela dans les semaines à venir : 11 mai, 18 mai, etc.
50.2. Si toute une grande partie de la population reste encore confinée, toute une autre partie fait aujourd’hui son covid-out.
50.3. Bien qu’il reste encore de nombreuses incertitudes quant à notre avenir et qu’un retour à la normale ne devrait pas se profiler avant des mois, si pas des années, le présent journal de confinement qui devait à la base ne durer qu’une quinzaine de jours touche aujourd’hui à sa fin.
© Edgar Kosma 2020